Texte introductif pour le catalogue de l’exposition Léo Marchutz (peintures, dessins et lithographies) qui s’est tenue à Memphis, Tennessee, en 1969.

« In the last two decades it has become almost an obsession with art-critics and art-historians – the present writer not completely excluded – to measure the quality of an artist by his attachment to realism on the one hand or his inclination towards non-objective art on the other. However, not ony should Op and Pop have taught us the irrelevance of such an attitude but even more so the age-old fact that “quality” is neither a matter of period nor style but a matter of rank. There are bad Egyptian sculptures and good abstact paintings.

Léo Marchutz being neither abstract or realistic but both and, moreover, good has, so far, found a limited if enthusiastic audience. It is, therefore, most welcome that his friends in Memphis, Tennessee, have made such an admirable effort to create a public for his work by showing his religious panels in a church, in addition to the two other exhibitions with drawings and lithographs elsewhere.

Recollecting my first encounter with Léo more than 10 years ago I am reminded of an unforgettable experience. He had succeeded in talking the Municipality of Aix-en-Provence into arranging a Cézanne Exhibition which, as it turned out, included some paintings from the New Pinakothek in Munich where I was Chief Curator at the time. Since the straircases in the Pavillon Vendôme were all much too narrow we had to unpack the crates in front of the palace in the open. It was a breathtaking moment when Cézanne’z famous La Tranchée was taken out of its case and exposed to the very same light in which it was painted in 1869. The workmen even stopped for a while in numb admiration. It was a revelation – like experiencing the Greek light for the first time….

It must have been this very special quality of light in Provence, I think, rather than a commemorative sentiment that made Léo Marchutz want to live in Cézanne’s country. As a matter of fact, it is LIGHT as a volume and space creating factor and it is LIGHT in its luminosity and spirituality that, in my view, is at the heart of Marchutz’s achievement as an artist.

Hans-Konrad Roethel
The Institute for Advanced Study
Princeton, N.J.
March, 1969.

En français

Ces dix dernières années, les historiens et critiques d’art - l’auteur présent n’étant pas totalement exclu – ont connu l'obsession de vouloir mesurer la qualité d’un artiste soit à son attachement au réalisme soit à son penchant pour l’art non-figuratif. Or non seulement l’Op et le Pop Art nous ont enseigné le caractère non-pertinent d’une telle attitude, mais encore plus le fait immémorial que la « qualité » n’est pas déterminée par une époque ou un style mais fonction d'un degré d'intensité. Il existe de mauvaises sculptures égyptiennes et de bonnes peintures abstraites.

N’étant ni abstrait ni réaliste mais les deux à la fois et de plus excellent peintre, Léo Marchutz a rencontré à ce jour une audience limitée mais enthousiaste. C’est pourquoi il s'avère particulièrement méritoire que ses amis de Memphis, Tennessee, ait fait un effort si admirable pour créer un public autour de son oeuvre en présentant dans une église un choix de ses oeuvres religieuses, en plus des deux autres expositions, dessins et lithographies, en d'autres lieux.

Me remémorant ma première rencontre avec Léo il y a plus de dix ans, je me souviens d'une expérience inoubliable. Il avait réussi à convaincre la municipalité d'Aix-en-Provence d'organiser une exposition Cézanne qui, comme il se devait, comprenait des peintures appartenant à la Nouvelle Pinacothèque de Munich, dont j'étais à l'époque le Conservateur en chef. Vu que les cages d'escaliers du Pavillon de Vendôme étaient trop étroites, force nous fut de déballer les caisses devant le bâtiment, en plein air. Ce fut un moment à vous couper le souffle, lorsque la célèbre toile « La Tranchée », débarrassée de son emballage, a été présentée dans la lumière même dans laquelle elle avait été peinte en 1869. Les ouvriers marquèrent un temps d'arrêt saisis d'une muette admiration. C'était une révélation, comme vivre pour la premièe fois l'expérience de la lumière grecque.

C'est certainement cette qualité très spécifique de la lumière provençale plutôt qu'un sentiment commémoratif qui, à mon avis, a conduit Léo Marchutz à vouloir vivre au pays de Cézanne. En fait, la LUMIERE créatrice de volume et d'espace, la LUMIERE par sa luminosité et sa spiritualité constitue, à mon sens, le coeur des réalisations artistiques de Marchutz.

Hans-Konrad Roethel
Institut pour Etudes Avancées, Princeton,
Nouveau Jersey, Mars 1969.

---

télécharger le texte