John Rewald dans son bureau à New York
LETTER FROM JOHN REWALD TO TONY SPINAZZOLA
New-York, May 14th, 1962, published in the catalogue to the Leo Marchutz show at the Tony Spinazzola Gallery
in Aix-en-Provence, July, 1962
My dear Spinazzola,
I am delighted to learn that you are preparing an exhibition of the work of my old friend, Leo Marchutz, this artist so little known because of his modesty and his pride. I use this word, (which no doubt he won’t like), with a certain hesitation, but in fact it does take pride to labor as he does without looking for a more or less ephemeral success, without concerning himself with coteries, letting himself be guided – in his complete isolation – by nothing but his high conscience and the conviction that creation is an act of great responsibility which demands a total devotion. In his thought, it is art itself which must show that he is right, as Cezanne would have said.
It needs courage to live near Aix, at a place made famous by Cezanne, in the shadow of Sainte-Victoire, without succumbing to the master, despite the fact that Marchutz is his most fervent admirer and also his most erudite connoisseur. This courage, my friend has had for over thirty years because he has never wanted to imitate his idol, because the cult which he devotes to Cezanne has made him understand from the very beginning that salvation lies not in imitation but in what the master himself called, “the development of our faculties through contact with nature”.
Marchutz has been searching this contact in silence and in toil, and his faculties have blossomed in a style which is his own : an admirable and rare thing today. Without ever discarding the observation of nature, he has arrived at a synthetic art which reduces the elements of reality to their most essential signs. Thus he hovers on the border of abstraction though never abandoning the sharp observation of his subject. Through a lithographic process of his own invention to which he devotes himself passionately, Marchutz has found a mode of expression both subtle and vibrant, harmonious as well as full of audacity. This permits him to create images where a few delicate hues evoke sites or figures, the economy of means leading him towards a sort of poetry of suggestion whose starting point is nature and whose result is our enchantment. But how to describe a work which is based on the sacrifice of anything not essential while still remaining rich in evocations, balanced and fertile!
The contribution of Marchutz is important because he has something personel to say and says it in a new fashion, thus once again corroborating the fundamental truth that one can draw unexpected transpositions from nature – even from its most exploited aspects – provided one understands how to choose, in the abundant harvest she offers, that which is important and which until now remained unseen. Like all real artist, Marchutz knows first of all how to see and then how to communicate what he has perceived, thus teaching us to discover an unsuspected wold, and enriching our field of vision. Though he is not concerned with success, strong as he is in his certitude to be following the right road, traced by his sensitivity and talent, he is no less entitled to our profound gratitude for the generosity with which he communicates to us his discoveries so marvelously fresh and so highly original.
All my good wishes go to this exhibition. To you, my friend, my cordial regards.
John Rewald
Traduction en français
Lettre de John Rewald à l’occasion de l’Exposition des œuvres de Léo Marchutz dans la galerie de Tony Spinazzola, cours Mirabeau, Aix-en-Provence (juillet 1962)
NewYork, le 14 mai 1962
Mon cher Spinazzola,
Je suis ravi d’apprendre que vous préparez une exposition de l’œuvre de mon vieil ami Léo Marchutz, cet artiste si peu connu à cause de sa modestie et de son orgueil. C’est avec une certaine hésitation que j’emploie ce mot orgueil (qui ne lui plaira sans doute pas trop), mais enfin, il en faut pour travailler comme il le fait, sans chercher un succès plus ou moins éphémère, sans s’occuper des coteries, ne se laissant guider, dans son isolement complet, que par une haute conscience et la conviction que l’acte de création est un acte de grande responsabilité qui demande un dévouement total. Dans sa pensée, c’est son art qui doit lui « donner raison », comme aurait dit Cézanne.
Il faut du courage pour vivre près d’Aix, dans un lieu rendu célèbre par Cézanne, à l’ombre de Sainte-Victoire, sans succomber au maître dont Marchutz est pourtant le plus fervent admirateur et le plus érudit connaisseur. Ce courage, mon ami l’a eu depuis près de trente ans parce qu’il n’a jamais cherché à imiter son idole, parce que le culte qu’il voue à Cézanne lui a fait comprendre dès le début que le salut n’est pas dans le pastiche, mais dans ce que le maître lui-même a appelé «le développement de nos facultés au contact de la nature ».
Marchutz a cherché ce contact dans le silence et dans le labeur, et ses facultés se sont épanouies dans un style qui est sien, chose admirable et rare aujourd’hui. Sans jamais s’éloigner de l’observation de la nature, il a abouti à un art synthétique qui réduit les données de la réalité à leurs signes les plus essentiels, se tenant par là aux bords de l’abstraction sans pourtant jamais abandonner l’observation aigue du motif. Par un procédé lithographique de son invention et auquel il se consacre avec acharnement, Marchutz a su trouver un mode d’expression subtil et vibrant, harmonieux autant que plein d’audace. Cela lui permet de créer des images où quelques teintes délicates évoquent des sites ou des personnages, l’économie des moyens employés le conduisant à une espèce de poésie de la suggestion dont la nature est le point de départ et notre délectation l’aboutissement. Mais comment décrire une œuvre qui se contente d’un dépouillement extrême tout en restant si riche en évocations, équilibrée et fertile ?
L’apport de Marchutz est essentiel parce qu’il a quelque chose de personnel à dire et le dit d’une manière nouvelle, parce qu’il corrobore une fois de plus cette vérité fondamentale qu’on peut tirer de la nature, et même de ses aspects les plus exploités, des transpositions inattendues, pourvu qu’on sache choisir, dans l’abondante moisson qu’elle offre, ce qui importe et n’a pas encore été vu. Comme tous les artistes véritables, Marchutz sait voir d’abord et ensuite sait communiquer ce qu’il a perçu, nous apprenant ainsi à découvrir un monde insoupçonné, et par là enrichissant notre champ visuel. Si le succès lui importe peu, fort qu’il est de sa certitude de poursuivre la bonne route, tracée par sa sensibilité et son talent, il n’a pas moins droit à notre profonde gratitude pour la générosité avec laquelle il nous communique ses découvertes si merveilleusement fraîches et si hautement originales.
Tous mes vœux accompagnent cette exposition. Croyez, cher ami, à mes sentiments les plus cordiaux.
John REWALD
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