Réflexions sur la peinture et sur Cézanne.
DELACROIX : « en tout objet la première chose à saisir pour le rendre avec le dessin, c’est le contraste des lignes principales – Avant de poser le crayon sur le papier, en être bien frappé. »….
« Une ligne toute seule n’a pas de signification ; il en faut une seconde pour lui donner de l’expression »
COURBET : « J’ai étudié en dehors de tout système et sans parti pris l’art des anciens et l’art des modernes. Je n’ai pas plus voulu imiter les uns que copier les autres – J’ai voulu tout simplement puiser dans l’entière connaissance de la tradition le sentiment raisonné et indépendant de ma propre individualité. »
CEZANNE : « Je reviens toujours à ceci : le peintre doit se consacrer entièrement à l’étude de la nature, et tâcher de produire des tableaux qui soient un enseignement. Les causeries sont presque inutiles... »
« Je finis par croire qu’on ne sert en rien aux autres. »
RENOIR : « Un tableau n’a de chances de faire bien que lorsqu’il est seul. Dès que vous lui imposez un voisinage trop immédiat avec un autre tableau, vous l’abîmez - Pour mieux dire, vous diminuez l’emprise de chacun d’eux. »
Les raisons pour lesquelles l’œuvre d’un artiste, véritable rencontre si souvent des obstacles à la compréhension sont multiples, mais la principale me semble celle-ci : chaque artiste nous montre un monde à ce jour inconnu : le monde que lui il voit et qu’il porte en lui - (ou même à côté de lui) – et auquel le public est habitué souvent depuis bien longtemps. Le « style » d’un artiste étant le résultat de sa vision particulière et non, comme certains le croient, une question de technique, chaque artiste doit créer des formes nouvelles, inconnues, celles qui sont capables de transmettre sa vision.
Aussi faut-il retenir que l’artiste compte toujours sur une participation active du spectateur, qu’il ne regarde pas, comme c’est malheureusement devenu le cas de nos jours, comme un être conditionné dans un sens déterminé par d’autres, et dont les appétits doivent être satisfaits.
Ainsi l’œuvre de Cézanne fait un appel direct à l’homme, à ce qu’il y a de plus élevé en lui, c’est à dire, il fait des demandes énormes, pour être compris. Nous savons aujourd’hui que les grands peintres de notre siècle n’ont pu comprendre son œuvre que partiellement ou superficiellement, et pourtant : ils étaient « du métier » ! Ce qui a amené Lionello Venturi – en 1936 déjà – à la constatation amère : l’harmonie cézannienne a presque disparu de la vie de l’art.
Il faut ajouter que certainement la renommée mondiale de Cézanne aujourd’hui n’est nullement fondée sur une plus profonde compréhension de son œuvre, mais sur les prix fabuleux que ses œuvres ont atteintes. Il n’y a pas trace de son enseignement dans la peinture actuelle : ses deux exigences de base : émotion et contact avec la nature sont ridiculisées et répudiées, son art est en éclipse totale et c’est une chose très grave.
Cézanne a fait des chefs-d’œuvre tout le long de sa vie, dans toutes les « périodes», dont la classification est particulièrement difficile – ainsi il était parvenu à un parfait degré de réalisation déjà autour de 1870, avec des œuvres aussi variées que « la tranchée » (à Munich), « la mer à l’Estaque » (Zurich), « le portrait de sa sœur au piano » (Russie), « la pendule noire » (Niarchos) et d’autres natures-mortes, un certain portrait de Valabrègue (Venturi 128).
Quand il décida de se rendre en apprentissage auprès de Pissaro à Pontoise/Auvers en 1873, il apporta donc un passé très important à lui, et dont le caractère très particulier était probablement la cause qu’il n’a pas de tableau vraiment impressionniste de Cézanne. Si nous comparons deux tableaux que Cézanne et Pissaro ont peint devant le même motif, il y a certaines constatations qui s’imposent : quant à l’arrangement spatial des objets : la vision de Pissaro est parfaitement traditionnelle, l’importance des objets diminue avec la distance, ce qui choquait à cette époque le spectateurs, c’était la qualité inhabituelle des couleurs, et laquelle l’empêchait de voir que la mise en place des objets, ou les dessin – resta dans la convention, mais quant à Cézanne, nous voyons dans sa toile – en comparaison – un changement très curieux quant à la vision : le objets se trouvant près sont négligés ou plus éloignés, les objets qui sont loin par contre rapprochés, de façon qu’il s’établit plus de cohérence entre eux qu’en nature. Ce qui fait du tableau une espèce d’organisme tout à fait à part ; et nous devons convenir que c’est l’effet de son art – et que cet art ressemble plutôt à certains arts du passé. Il sait introduire (et sans le vouloir !) un certain hiératisme, qu’on a dû croire perdu pour toujours. L’art se trouve purifié, ramené à ses sources.
Et pourtant sa vie est telle que quand nous sommes en face d’un de ses motifs nous sentons qu’il y a équivalence parfaite et nous comprenons que Cézanne s’est conformé pendant toute sa vie au dire de St. Thomas (sans le connaître probablement) « L’art est imitation de la nature dans sa façon d’opérer. »
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