L’ÉCOLE MARCHUTZ
par Denis Coutagne / 2000
(Article publié dans le catalogue de l'exposition «L’École Marchutz Aix, 25 ans» qui s'est tenue au Musée Granet à Aix en Provence du 27 octobre 2000 au 2 février 2001)
Et d’abord qu’est-ce qu’une «école» ?
Ce terme peut faire référence à une institution signifiée par des structures administratives, des bâtiments en vue de dispenser un enseignement, en vue de donner un savoir, des connaissances. En tous cas «l’école» signifie qu’une formation est à acquérir dans un cadre donné, impliquant un contenu plus ou moins objectif.
En peinture, l’ «école», signifie un mouvement dont la cohérence s’appuie sur un peintre particulier (l’École de Rembrandt) ou sur une tradition liée à un lieu et une pratique (l’École vénitienne, l’École de Pont-Aven…)…
Que faut-il entendre par «École Marchutz» ?
Je laisserai d’emblée de côté les normes administratives de ce qui s’intitule l’École Marchutz fondée en 1972. Je ne prendrai pas non plus en compte le contenu de l’enseignement donné et les méthodes retenues pour dispenser un tel enseignement. Je m’interrogerai simplement sur l’enjeu d’une école qui, inscrite géographiquement au Pays d’Aix, donc au pays de Cézanne, se propose un enseignement, une formation à la peinture dans une proximité inévitable à Cézanne ne serait-ce qu’en raison des paysages cézanniens pour un certain nombre d’entre eux inchangés !
«L’École Cézanne» ?
D’abord un constat s’impose : Cézanne n’a pas créé d’«École», encore moins donné un enseignement. Certes quelques peintres (Émile Bernard, Camoin, Maurice Denis) lui rendent visite à l’atelier des Lauves. Cézanne autorise même Émile Bernard à peindre au rez de chaussée de l’atelier. On lui doit ainsi un puissant portrait de Cézanne peint sur la colline des Lauves. La correspondance que Cézanne entretient avec ces jeunes admirateurs contient de nombreuses réflexions sur sa «réalisation en peinture», sur l’enjeu de la peinture elle-même, sur certains problèmes spécifiques touchant les ombres, la lumière, sur le rapport de la peinture à la «nature», sur la nécessité de voir les œuvres des maîtres passés dans les musées à condition de ne pas se laisser trop imprégner… Mais de ces lettres personnelles, non destinées à priori à former un recueil publié, aucun enseignement théorique n’est possible, quand bien même Camoin conservait précieusement la correspondance reçue du «maître d’Aix» en lui attribuant une valeur unique : «l’Évangile en peinture» disait-il à ce propos. Voilà de la sorte Cézanne promu au rang de «Maître» dont l’œuvre et les paroles sont recherchées, décryptées pour initialiser une œuvre nouvelle. Et nul doute que la postérité de Cézanne est multiple, presque inépuisable. Cézanne avait lui-même pressenti cette place qui lui reviendrait lorsqu’il se comparait au Moïse nouveau, celui de la peinture qui entrevoit une terre promise, pressentant qu’il ne lui serait pas possible de l’atteindre (lettre à Vollard de janvier 1903). Plus explicitement il regrette son grand âge et envie la génération montante…
De fait, les premiers peintres de cette génération ne manqueront d’honorer Cézanne comme un précurseur, une référence incontournable en tout cas :
«Cézanne notre père à tous», disait Picasso.
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