Texte de présentation par Marianne R. Bourges pour l’Exposition Léo Marchutz au Musée Cézanne de l’atelier des lauves
Aix en Provence, 25 septembre 1995, 31 janvier 1996.
«Pages cézanniennes d’un maître d’aujourd’hui»
Ces «pages» n’ont cessé depuis dix années de présenter aux visiteurs de l’atelier des Lauves des œuvres, dont le fil conducteur délicat, ténu, les fait apparaître dans le rayonnement de cette qualité d’art essentielle distribuée dans tout l’œuvre peint du Maître d’Aix, comme la rend probante la grande rétrospective au Grand Palais à Paris.
Depuis quelques jours une exposition de dessins inédits du peintre Léo Marchutz habite la salle d’exposition située dans le jardin de l’Atelier Cézanne aux Lauves. Trente dessins incomparables qui imposent autant le respect que le silence ; dessins lumineux autant que mystérieux, limpides, et purs autant qu’hermétiques, trente dessins qui se présentent aussi complexes à l’analyse que directs au premier regard.
S’ils ont un sujet, il n’est pas dit. Au visiteur de s’abstraire de ce besoin, cette habitude d’aborder une œuvre par son titre. Nul doute que les dessins, comme tout l’œuvre de Léo Marchutz, ne ressemblent qu’à eux-mêmes, cependant qu’ils égalent les plus beaux dessins de Matisse, Giacometti, Léger, et Cézanne bien entendu.
Les aixois, pas seulement le monde cézannien international, connaissent Léo Marchutz surtout comme étant le regard du peintre, ce troisième regard avec Adrien Chappuis et John Rewald ; bien peu ont eu la chance d’approcher l’œuvre personnelle de Léo Marchutz ; intime, secrète, «franciscaine» a dit Max Pôl Fouchet, toute de recueillement et de lumière, autant de l’esprit que de celle qui nimbe Sainte Victoire et le pays d’Aix.
Nul doute que Léo Marchutz eut été heureux mais confus d’être là, présent comme il l’est aujourd’hui dans le lieu même où furent peintes un si grand nombre des œuvres réunies pour la rétrospective du plus grand peintre de tous les temps.
C’est une acte de foi d’avoir fait coïncider cette exposition avec cet événement ; un acte de foi de ceux qui réactualisent qu’une certaine qualité d’art ne saurait finir…
Une certaine qualité d’art
Pourquoi parle-t-on d’art jamais de qualité d’art ? Qui sait encore que c’est dans le dessin qu’elle est le plus directement perçue, où, privée de la couleur ou de tout ce qui prétend accrocher, retenir, faire parler…et jamais de cette qualité cézannienne, celle des dessins d’un Maître dont on dit qu’il ne savait pas dessiner parce qu’il «ne léchait pas le contour»…
Bien entendu que dans les dessins de Léo Marchutz la lumière circule ! que les plans battent la surface ! que les lignes se rejoignent à l’infini ! Quelle dimension, quel espace elles confèrent aux carrefours de leurs intersections.… Elles ne se croisent que pour se décroiser ; elles ne se rencontrent, se frôlent que pour s’accompagner, s’écouter, s’opposer, ou se contredire, nous entraînant au-delà des limites des surfaces.
Quant à la lumière qui traverse les frontières de la forme et la perturbe (elles se perturbent mutuellement), les vibrations colorées qui résultent de leurs rencontres déposent leurs traces, poussière d’atomes devenus parcelles de couleur, sur le tracé devenu soudain saisissable – mariage heureux de la lumière et de la forme.
Un dessin tout comme un tableau se regarde à des distances variables. Un peu de recul et l’on se surprend à découvrir, libérés des subtils et visibles agencements, des plans qui paraissent avoir glissé insensiblement les uns sur les autres depuis un point central, imperceptible pivot qui les a mis en mouvement. Il en résulte des rencontres nodales de tangentes qui nous placent dans un vertige d’espace pour peu que nous prétendions en suivre les directions à l’infini…
Le mouvement subrepticement glissé s’est introduit par les vides, qui sont des plans à l’égal de ceux des pleins, discrètement géométrisés, diversifiés, contrastés.
Ce dialogue intelligent, sensible, vivant, qui est le propre du dessin de Léo Marchutz, est le plus grand plaisir du plus raffiné des amateurs d’art qui sait que par le dessin l’œuvre se pénètre, jusqu’aux plus infimes et fines nuances de l’esprit ; des intentions voulues et pas voulues s’en échappent, pour le plus grand plaisir de la découverte que d’en suivre surpris, enchantés, les rebondissements de l’exécution de l’idée qui y préside…
Marianne R. BOURGES.
Conservateur de l’Atelier de Cézanne
Conservateur du Patrimoine
(écrit en 1995)
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